MS01



Quand nul ne la regarde,
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit.
Elle a d’autre poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.

La mer secrète- p.402
Jules Supervielle

MS02


Le vent couleur de ciel, puérilement pur,
Frotte le feuillage d’azur
Et comme gorgé d’ambroisie,
Le vert palpitant s’extasie.

Débarcadères p.140
Jules Supervielle

MS03



Du bout de ses branches ardues,
Il cherche à s’accrocher aux nues.

Paysages P. 58
Jules Supervielle

MS04



Un cargo muet traverse l’espace
Cachant de la nuit dans ses soutes basses
Dans l’aube il en tombe une poignée noire
Mais il n’est que moi pour l’apercevoir.

Feux du ciel . P.270
Jules Supervielle

MS05



D’obsédantes pyramides
Lèvent un doigt bleui de ciel
Vers quelques but essentiel
Par delà l’aérien vide

Débarcadères . P.138
Jules Supervielle

MS06


La voix du coq forgée aux braises de l’été
Egrène ses rubis sous le ciel velouté
Et,gravissant l’air frais, jusqu’à mon lit se penche.

P.66
Jules Supervielle

MS07



« Où sont vos papiers, passant obscurci,
Le bras en écharpe et le cœur roussi.
Est-il des survivants au monde ?

- Ombre pour ombre, ami, nous sommes compagnons,
Vous voyez bien que nous portons
La bague opaque des morts. >>

Le forçat innocent. P.270
Jules Supervielle

MS08



Des bras toujours un peu ouverts,
Mais captifs de leur univers,
Que nul n'aperçoit sauf celui
Qui vous recherche et qui vous fuit,
Un buste avec un air d'arbuste
Bien droit au feuillage naissant
Pour l'oeil de l'homme, carressant.

La captive . P. 449 / Jules Supervielle

MS09



Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière qui se mêle à la conversation,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle des torrents dans la montagne,
Il prend les nouveaux à partie, les bouscule un peu dans la rue.
Et les pousse sans un mot du côté des jolies filles.

Marseille. P.141
Jules Supervielle.

MS10



Et voilà mon silence dur fonçant sur le moindre bruit qui ose.
Je soufre de ne pouvoir donner le repos sur mes flancs difficiles
Où je ne puis offrir qu'une hospitalité accrochée,
Moi qui tends toujours vers la verticale
Et ne me nourris que de la sècheresse de l'azur.

La montagne prend la parole. Sept 1920. P.133
Jules Supervielle.

MS11



<>

Et moi qui ne peux pas répondre
Je me fais songe pour passer aux pieds d’une ombre

L’enfant et la rivière. P.389
Jules Supervielle.

MS12



Les murs s'éveillaient et le sable
Qui dort écrasé dans les murs.

Les matins du monde. P.175
Jules Supervielle

MS13


Ô dame de la profondeur
Que faites-vous à la surface,
Attentive à ce qui se passe,
Regardant la montre à mon heure?

Madame. P490
Jules Supervielle

MS14



Pour se joindre aux oiseaux traçant leurs cercles libres
Ils s'obstinent à vouloir par les barreaux sortir
L'oiseau dont les yeux brillent,
Il y plaque à l'envi ses grandes plumes vertes
Se refusant à voir que la cage est ouverte.

La cage. P551
Jules Supervielle

MS15


Porte,porte,que veux tu?
Est ce une petite morte
Qui se cache là derrière ?
Non,vivante,elle est vivante
Et voilà qu'elle sourit
De manière rassurante.
Un visage entre deux portes,
Un visage entre deux rues,
Plus qu'il n'en faut pour un homme
Fuyant son propre inconnu.

Le forçat innocent. p.235
Jules Supervielle

MS16



Parfois je ne connais que lui
Et parfois je suis étonné
Derrière mon humain abri
D'avoir tant oublié cet homme.

Les amis inconnus. P.340
Jules Supervielle

MS17



Prisonnier de peut-être
J'attends à la fenêtre
Que se présente Dieu
dans son grand sérieux.
Moi qui sait faire taire
Tous les bruits de la terre
Pour que garde son sel
Le silence éternel
Ou s'avancent, reculent,
La houle des scrupules
Et le char solennel
Aux chevaux tout en ciel.

Jules Supervielle P.585

MS18


Tout seul sans moi, tout privé de visage,
Me suffirait un petit peu de moi,
Mon moi est loin,perdu dans quel voyage,
Comment savoir même s'il rentrera.

Jules Supervielle P. 272

MS19


Comment renoncerais-je à tant de souvenirs
Quand l'esprit encombré d'invisibles bagages.
Je suis plus affairé dans la mort qu'en voyage
Et je flotte au lieu de sombrer dans le mourir.

Le mort en peine. P. 447
Jules Supervielle

MS20



Est-il encore des étages
Dans l'escalier toujours obscur
Confondant l'ancien,le futur
Et poursuivant même sous terre
Une descente délétère.

L'escalier. P572
Jules Supervielle

MS21



Quand le sombre et le trouble et tous les chiens de l'âme
Se bousculent au bout de nos longs corridors,
Quand le dis-qui-tu-es et le te-tairas-tu
S'insultent à travers des volets sans rainures,
Un homme grand, barbu et plusieur fois lui-même
Les fait taire un à un d'un revers de la main
Et je reste interdit sur des jambes faussées
Comme si j'étais lui sans espoir de retour.

La fable du monde. P.383
Jules Supervielle

MS22



Nous sommes là tous deux comme devant la mer sous l'avance saline des souvenirs.

Débarcadères. P.132
Jules Supervielle

MS23



Un peu de mon âme glissait
Sur un rail bleu, à contre ciel.

Les matins du monde. P.175
Jules Supervielle

MS24



Que signifient ces blancheurs, cette écume,
Quel grand couteau a tailladé les flots?
Mais on dirait que s'avance un bateau
Et que du pont, pris d'une ivresse brusque,
Douze plongeurs se sont jetés à l'eau.

Le forçat innocent. P 294
Jules Supervielle

MS25



Et puisque vous craignez mon abrupt renouveau,
Je ne suis pas de ceux qui refont des avances,
Et d'un pas de vivant, je retourne au tombeau.

Le ressucité. P.448
Jules Supervielle.

MS26



Et les cafés enfantent sur le trottoir hommes et femmes
de maintenant avec leurs yeux de phosphore.

Marseille. P141
Jules Supervielle.

MS27



Que devient la joue
De cet enfant rouge
Que nous dépassâmes
En nous retournant ?

Et votre belle main,
Refuge de vous -même,
Que la cachez- vous
Sous un souvenir
Qui n'est pas de nous ?

Dispersé. P254
Jules Supervielle.

MS28



Ce chien qui traverse la chaussée miraculeusement
Est-ce encor un chien respirant?

Gravitations. P.166
Jules Supervielle.